Je vis dans deux mondes parallèles.

Dans l’un, on me voit—souvent en train de dire des conneries ou de parler d’art et de culture. Je suis jamais la dernière à rigoler, je me passionne, je fais des kruks sympas, et je vis une vie super chouette avec les gens que j’aime autour de moi.

Dans l’autre, je n’existe qu’invisible.

C’est une vie de stress.

Vous reprendrez bien une tartine de troubles anxieux sévères? Cette vie où chaque décision me coûte, parce que chaque décision de ma vie m’a toujours coûté très cher. De mon orientation professionnelle à l’éducation de mes enfants, en passant par mes relations passées, tout a toujours eu un prix exorbitant.

Et du coup, même les plus petites décisions me pèsent. Choisir un film? Très difficile, si je ne suis pas seule à le voir. Décider d’où commander la malbouffe du week-end? Argl. C’est stupide, mais ce sont de petites aggravations qui se sont accumulées au fil du temps, et qui me font redouter le moindre choix. J’essaie de me soigner, mais ce n’est pas facile.

On ajoute à ça ma neurodivergence, et emballé c’est pesé!

C’est une vie de douleurs.

Des souffrances dues au stress, pour la plupart. Le stress des évènements qui ne se passent pas bien, ou risquent de ne pas bien se passer. Le stress des gens et de la société—cette société où ni moi ni mes enfants n’avons une vraie place. Le stress de sortir.

La douleur de la dépression, qui pèse sur chaque activité non-essentielle.

Je suis une boule de douleurs invisibles. Je marche mal, parce que marcher est douloureux. Je dors mal, parce qu’être allongée est douloureux. Mais être assise, c’est pire, alors souvent je suis obligée de m’exiler de mon Artelier, parce que ce n’est plus tenable. Personne ne voit les abcès que je me traîne. Personne ne me voit quasiment tourner de l’oeil quand ils percent.

La maladie de Verneuil, c’est faire attention à poser une couverture là où on s’assied, pour éviter de saigner sur le canapé ou le siège de l’automobile.

Et même quand les douleurs sont faibles, elles sont quand même tout le temps là. Le temps qui passe et l’âge qui s’installe n’y sont sûrement pas pour rien. Je suis rouillée avant l’heure, et pour avoir une réelle évolution de ce côté-là, encore faudrait-il que je puisse passer outre mes autres douleurs bien plus vives.

C’est une vie à cacher ses émotions.

Parce que personne ne comprend à quel point je souffre quand les choses se passent différemment de ce que je pensais. Parce que personne ne voit mon incapacité à agir si je suis en mode “attente”—d’une réponse, d’un e-mail, de quoi que ce soit. Parce que j’essaie de ne pas montrer quand les gens vivent leur vie normalement en piétinant la mienne avec leurs horaires YOLO.

Quand finalement je parle de tout ça, c’est forcément étonnant. J’ai tellement l’habitude de serrer les dents et me taire. Quand j’en parle, c’est que je suis au bout du bout. Quand j’en parle, c’est que je n’en peux presque plus.

En tant que neuroatypique, j’ai appris à masquer depuis mon enfance.

En tant que survivante d’une relation toxique, j’ai appris à me taire et à stresser dans mon coin sans n’y laisser rien paraître.

En tant que malade chronique, je suis obligée de vivre en me taisant, parce que sinon je serais toujours obligée de me plaindre—quelqu’un qui n’a habituellement rien irait probablement immédiatement à l’hôpital s’il avait une de mes crises, mais si moi je le faisais je serais tout le temps à l’hôpital.

Quand je m’ouvre à ce sujet à quelqu’un d’autre que mes proches, c’est que réellement j’en suis au bout du bout du craquage. Que réellement, il faut que je m’arrête, parce que physiquement et mentalement je ne peux plus continuer.

Mais la plupart du temps, je suis forte. Je suis comme ma Maman, qui a vécu une vie difficile faite de sacrifices, entre la polio, les cancers, et les relations toxiques. Je garde l’exemple de sa force, mais j’ai décidé que les sacrifices c’était terminé.

Alors j’existe invisible.

Personne à part mes proches ne me voit aller m’allonger l’après-midi. Personne ne me voit tourner en rond et stresser pendant des jours. Personne ne voit à quel point chaque petite contrariété peut prendre une place énorme dans mon cerveau et m’empêcher de respirer.

Ces derniers temps, je n’ai plus le courage d’être forte. Pour la première fois de ma vie, je ne reconnais plus ma place dans l’univers. Je n’ai plus de vrai but, plus de ligne directrice. Je les appelle de toutes mes forces, mes envies créatrices sont là, mais ma Muse a déserté.

Je vis une demie-vie, que j’organise pour qu’elle soit le plus agréable possible. C’est une vie de deuil—celui de l’ancienne Nathalie qui avait une énergie infinie et qui pissait la créativité par tous ses pores. Je passe de bons moments avec mon épouxe, je gâte mes enfants, je chouchoute notre maison. Je fais des tentatives de projets. Je me repose, pour éviter d’empirer mon état.

Et le reste du temps… vous ne me voyez pas.

2 Comments

  1. Patate des ténèbres

    Difficile d’ajouter un bon mot après ce texte touchant, mais je te souhaite force et quiétude.

    Reply
    • Nathalie Julien

      Merci beaucoup! 🙂

      En ce moment, c’est mieux niveau santé, mais je fais gaffe tout de même. Il y a un truc nommé post-exertional symptom exacerbation, qui fait que quand ça va bien souvent on se lance à fond “pour rattraper toutes les fois où on peut pas” et généralement ça bousille tout d’autant plus vite à nouveau.

      Finalement, le travail sur moi c’est d’éviter justement d’oublier que, pour un moment, tout va bien. Parce que c’est juste faux. Tout ne va pas bien, tout est temporaire. C’est triste, mais ça m’empêche d’aller plus mal.

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Féministe multipotentielle et omnipassionnée. Neurospicy, malade chronique, et assidue de la slow life.

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