Ça fait super longtemps que je n’ai pas créé—que je n’ai pas posé mon cul sur une chaise ou sur un tabouret, et fini un projet artistique.

Oh, j’ai essayé de peindre, et j’ai tout recouvert de gesso immédiatement. J’ai fait des petits projets en crochet. J’ai grabouillé sur mon iPad et suivi quelques cours pour faire des dessins kawaii il y a quelques années. Mais je n’ai pas créé, de moi-même, avec plaisir. Et je n’ai pas vraiment fini quoi que ce soit.

L’autre semaine, j’ai vu une vidéo d’une illustratrice qui utilisait les Caran d’Ache Neocolor II Aquarelle, et… je suis tombée amoureuse. Il me les fallait absolument. J’ai passé des jours entiers à en rêver, tout en faisant un effort pour ne pas les commander immédiatement.

Parce que bon, je me connais. Je veux toutes les fournitures artistiques, mais je ne les utilise pas autant que je le souhaiterais. Pas par manque de temps. Pas par manque d’envie. Probablement par manque de confiance en moi—alors que c’est quelque chose que j’ai beaucoup travaillé ces dernières années, de mon côté mais aussi au sein d’un cercle de femmes qui m’a immensément aidée pour mon développement personnel.

Et puis j’ai craqué. Mais je me suis bien promis que j’en ferais quelque chose, cette fois-ci. J’ai tourné, et j’ai roulé. J’ai attendu patiemment et impatiemment leur arrivée. Ils sont magnifiques, n’est-ce pas?

Et ça a commencé comme ça commence toujours: par la peur de faire quelque chose de pourri.

J’ai choisi un poulpi parce que les poulpis c’est ma came. J’ai trouvé un modèle dont je me suis vaguement inspirée, notamment pour les jeux de lumière et la forme des petits tentaculis. Et tout de suite, le drame: c’est moche. Si, c’est moche, soyons honnête.

À l’instant où j’ai posé le pinceau mouillé sur mon petit croquis, c’est parti en merde. Parce que l’aquarelle, ça vit sa vie. Ça nous demande pas comment ça doit bouger, où ça doit laisser du pigment ou pas, ou si on a envie de se jeter d’un pont après le premier passage.

Et pourtant, j’étais assez contente de mon premier croquis. Les tentaculis étaient bien placés, les ombres aussi, plus ou moins… Et là, hop, le drame. C’est un blob. Roulance mouratoire maximum sous le bureau.

Mais je me suis rappelée un truc important: “trust the process”.

Et que si ça me plaisait pas, ce n’était ni grave, ni la fin des haricots, parce que j’ai le droit de dessiner de la merde et ça sera pas la fin du monde… mais surtout, on peut toujours repasser dessus si besoin! Alors j’ai repris les Caran d’Ache aquarellables une fois que le dessin a fini de sécher, et je m’y suis remise.

J’ai renforcé quelques ombres. J’ai souligné le noeuil. J’ai ventousé les tentaculis. J’ai tâchoté la peau. J’ai remis de l’eau au pif, foutu pour foutu, pour voir si j’arriverais pas à arranger un peu le tout.

Et là, de suite, ça me plaisait plus. J’ai fait gaffe à laisser un peu de texture, ce coup-ci—un peu de pigments pas complètement noyés par le pinceau. Parce que ce qui me plait dans les dessins chez les autres, c’est justement ce grain, ce crayonné parfois grossier qui donne du caractère à un dessin.

Enfin, le moment que je préfère était venu: le fineliner.

J’ai tenté mon coup avec un Micron 005. Ils sont supposés être waterproof, mais je ne comptais de toute façon pas remettre de l’eau dessus. Et il a fallu que je m’y reprenne à plusieurs fois pour y arriver—parce que les Neocolor II Aquarelle c’est quand même cireux, un peu, donc j’ai du gribouiller sur un post-it entre deux traits pour refaire marcher mon stylo.

J’aime les petits traits pas terminés, c’est pour ça que mon poulpi n’est pas entouré de partout. Et j’ai rajouté des ombres improbables, et une rouspète entre les yeux globuleux, pour le rendre irascible (parce qu’un poulpi grumpy c’est mieux qu’un poulpi tout court).

Et, le pif fait parfois bien les choses: je trouve que l’oeil de mon poulpi est pas dégueulasse. On dirait presque que je savais ce que je faisais!

La moralité de tout ça c’est: il faut que je me pose et que je fasse plus de trucs. J’en chie parce qu’il faut que je retrouve ma confiance en moi, après des années à recevoir des critiques (justifiées ou pas). Mais après je suis contente d’avoir fait, que ça soit merdique ou pas.

Mon motto c’est: “good enough, fuck it!”, et il faut que je m’en souvienne la prochaine fois que j’ai peur de montrer mes créations. Mon art n’est pas parfait, mais bon, plein d’oeuvres sont imparfaites. Et il faut que je m’habitue à nouveau au processus de création, afin de rendre le moment agréable au lieu de me tordre l’estomac.

Je suis fière de mon grumpy poulpi, aussi fière que si j’avais un bar-tabac. Pourquoi? Parce qu’il a le mérite d’exister. Parce qu’il représente ma ténacité, ma capacité à finir quelque chose, et mon désir de mettre plus d’art dans ma vie. Et ça, ça vaut d’escalader les montagnes que sont le poids du regard des autres.

Je suis contente, c’est suffisant.

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Féministe multipotentielle et omnipassionnée. Neurospicy, malade chronique, et assidue de la slow life.

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