J’ai maintenant 48 ans. Ça fait un moment que je suis un vieux croûton—d’ailleurs, je ne sais pas si j’ai jamais été vraiment jeune.

Et partout, tout le temps, je ne vois que des jeunes qui réussissent. Qui font les trucs qui me font rêver. Et je me rends compte que la représentation pour les gens comme moi est très limitée, du moins en surface. Y’a pas de gens malade chroniques qu’on voit partout. Pas vraiment d’autistes non plus, ou alors c’est dans la fiction avec des autistes génies (y’en a, je dis pas, mais bon, on est pas tous et toutes comme ça hein). Et je vois peu de personnes de mon âge.

C’est une question d’entraîner les algos, je suis d’accord. Plus je regarde de vidéos de gens qui me ressemblent, plus on m’en recommande sur YouTube. Alors je fais des recherches, parce que j’ai envie de diversité dans mes feeds. Pas que des jeunes blanc·he·s belles et valides qui semblent faire leur Bree Van de Kamp sans aucun effort apparent.

Je veux voir des personnes noires. Je veux voir des personnes LGBTQIA. Je veux voir des personnes de tous âges. Je veux voir des personnes qui ne sont pas dans les standards de la beauté. Je veux voir des personnes qui n’ont pas une haute énergie sur les vidéos, parce que ces personnes sont malades, handicapées, fatiguées chroniques elles aussi, etc. Je veux voir des personnes grosses, bordayl de merde. Je veux me sentir normale et représentée dans ce que je regarde tous les jours.

Parce qu’on ne nous voit pas facilement, parce que notre représentation puduku, c’est facile de croire que la vie s’arrête à la trentaine. C’est facile d’avoir des craintes que pour nous c’est trop tard. Qu’il aurait fallu commencer nos projets avant. Que c’est terminé, que plus personne ne voudra consommer nos contenus, parce qu’on est trop vieux, trop moches, trop mous. Parce qu’on est pas hip.

Et c’est aussi probablement pour ça qu’on est mal représenté·e·s. Parce qu’on n’ose pas. Parce qu’il y a toujours une “bonne” raison pour ne pas commencer: “il me faut tel équipement pour faire des vidéos”, “ça serait mieux si je passais chez le coiffeur d’abord”, “j’ai pas l’énergie de produire du contenu de façon constante“, “ah non, j’ai pris du poids, les gens vont se focalise là-dessus et pas sur mon message”.

Je ne critique pas, je suis exactement comme ça. Ça fait des années que je ne commence rien, entre la dépression, la fatigue chronique, mes cheveux qui ne ressemblent plus à rien, et ma réticence à passer enfin chez le dentiste pour récupérer un sourire correct.

Mais quand je regarde une vidéo… je m’en fous de l’apparence de la personne. Okay, j’aime bien quand l’image est correcte et que le son est bon, mais c’est surtout le contenu qui est important pour moi. Alors, je me dis que, okay, peut-être une certaine partie des gens sont dans le jugement, mais il y a peu de chances que ces personnes finissent dans mon audience. Parce que je suis pas djeunz. Je suis pas hip. Je suis pas énergique. Je suis pas constante.

Je m’adresse à des gens comme moi. Des gens vieux, des gens gros, des gens fatigués, des gens atypiques, des gens déprimés. Des gens qui eux aussi s’en contrefoutent de passer leur vie à ressembler à une serpillère parce que porter un jogging c’est confortable et que mayrde, un peu. Et que les gens pas comme moi qui tomberont sur mon contenu zapperont, ou bien y trouveront leur compte, même si je suis différente.

C’est pas trop tard!

J’ai passé ma vie à rebondir de projet en projet. C’est aussi un peu pour ça que je me pose la question de l’ADHD (pour info, je ne suis diagnostiquée de rien, j’ai juste eu un bilan neuropsy qui n’a rien trouvé à part des troubles de l’anxiété et une forte suspicion d’autisme surcompensé, et qui n’a mené à rien).

J’en ai fait des trucs, depuis que je suis jeune. J’ai monté des projets qui ont eu leur succès. J’ai écrit des livres, et j’ai même été USA Today Bestseller le temps d’une semaine. J’ai élevé et rendu autonomes deux jeunes hommes autistes, ma plus grande réussite jusqu’à aujourd’hui.

Quand on me voit, je ne paie pas de mine. Je suis soit réservée, soit dans les blagues pourries à outrance. Les gens ne s’intéressent pas vraiment à qui je suis. Je suis “juste une maman au foyer”. On ne me demande pas ce que je fais de mon temps.

Souvent, on croit que j’ai le même métier que mon épouxe. D’ailleurs, c’est surtout avec lui qu’on discute—il est tellement intéressant et charismatique qu’il est souvent au centre de l’attention de tout le monde. Les gens parfois ne me demandent en contact que pour commenter sur mes posts à propos de lui, ce qui—je ne vous le cache pas—a tendance à m’agacer. 🙂

Comme si je n’étais qu’une passerelle sur laquelle on peut piétiner pour aller là où on veut, au lieu de s’y attarder un peu pour pêcher et passer un bon moment.

Quand je dis que je suis une artiste, les gens changent de sujet. On me prend pas vraiment au sérieux.

Les vrais savent. Ils connaissent ma vie intérieure, mes passions, ma culture, mes valeurs.

Je passe mon temps à aller et venir entre “c’est trop tard” et “c’est jamais trop tard”. Parce que j’ai travaillé dur pour remonter ma confiance en moi-même et mon estime de moi-même, mais que des années de conditionnement sont difficiles à surmonter parfois.

Je sais au fond de moi que ce n’est jamais trop tard. Tant qu’on a un souffle de vie, on peut faire des choses. Okay, je peux peut-être plus faire du roller comme il y a trente ans, mais il y a tellement d’autres choses que je peux faire. Et l’une d’entre elle, c’est écrire. J’ai toujours aimé ça. On parlait l’autre jour avec un ami de trouver son “pourquoi”, et je pense que l’acte d’écrire pour moi vient de mon besoin de partager mes pensées avec autrui. Sachant que je n’ai pas d’aisance sociale, surtout à l’oral, c’est le moyen idéal pour moi d’explorer les âmes—la mienne et celle des autres.

Ces deux derniers jours, j’ai été émue de l’intérêt que mon article précédent a suscité chez des gens qui ne font pas partie de mon cercle intime. Je ne les connais pas, ou peu, et eux pareil. Et pourtant, à travers mes mots, on a cliqué. Une connexion s’est faite. Beaucoup se sont retrouvés dans mon post, et (à ma grande gratitude) me l’ont exprimé.

C’est difficile parfois d’écrire, parce qu’on est souvent dans le vide. Les gens lisent mais ne commentent pas. Ou parfois lisent le titre et laissent un like, sans aller plus loin. Parfois, les réseaux sociaux font qu’ils ne voient même pas le lien. Alors quand il y a de l’écho, c’est tellement réjouissant. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé, et cela m’a donné des ailes pour continuer à écrire sur mon propre blog.

Ce petit article qui ne parlait même pas de jeu de rôle (mon taf actuel) a touché des coeurs et des âmes. C’est magique.

Alors voilà. À 48 ans, c’est pas trop tard pour faire une différence, pour commencer un énième projet, pour faire son trou et vivre dans un coin de la tête des gens. Et ça sera probablement jamais trop tard.

8 Comments

  1. Gilles Guesset

    En tant que très vieux croûton de 48 ans + presqu’une decennie, je trouve que ton texte fait du bien. Les algorithmes nous formatent et nous mentent. Le réel est bien plus riche et divers que ce qu’en montrent les réseaux sociaux et les médias. Et il n’est peut être pas trop tard pour s’en rendre compte et le montrer ? Même si tout est fait à grande échelle pour nous uniformiser… Oui moi aussi j’hésite souvent, ma boule de cristal n’est pas très claire…

    Reply
    • Nathalie Julien

      Merci Gilles! C’est bien de diversifier un peu tout ça, oui. On ne voit que ce que les gens sur les réseaux veulent bien nous montrer (et moi la première). C’est naturel. Et des fois il faut du courage pour mettre ses mouilles sur la table et montrer ce qu’on ose pas d’habitude.

  2. Sébasthein?!

    Merci.
    Genre : vraiment, merci.

    Reply
    • Nathalie Julien

      Mais je t’en prie! 🙂 Merci à toi pour ta gentillesse et tes partages.

  3. Norine

    Je me reconnais tellement 😅
    Après des années d’anxiété, à vivre à travers les autres et à me sentir toujours nulle, maintenant je me répète en boucle que je peux y arriver (entre deux moments où je m’écroule sans énergie).
    Et oui…trainer en jogging j’ai découvert ça récemment mais c’est tellement trop bien !! 🥰
    Je vous souhaite plein de beaux projets !!

    Reply
    • Nathalie Julien

      C’est un apprentissage de tous les jours. Après avoir été coachée dans le développement personnel, j’en arrive parfois à oublier ce que j’ai appris sur l’estime de soi et la confiance en soi. La dépression n’aide pas.

      Mais le bon côté de la chose, c’est que ces apprentissages reprennent vite le dessus, et ce n’est que passager. 🙂

      Et vive les pyjs et les joggings! Je n’ai plus envie d’être engoncée, perso.

  4. Jemi

    Je suis si content que tu aies ton pourquoi et que tu t’y attaches pleinement. Tes pensées aident beaucoup de gens, moi le premier.
    Promis il est pas trop tard.

    Reply
    • Nathalie Julien

      C’est grâce à toi et à ton message de l’autre jour, ça m’a fait réfléchir. 🙂 <3

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Féministe multipotentielle et omnipassionnée. Neurospicy, malade chronique, et assidue de la slow life.

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