Je me souviens d’une époque où je brûlais de tous feux.

J’arrivais à gérer ma maison, ma famille, mes projets, mon travail, et tous les imprévus du quotidien. Tout ça dans des conditions de vie extrêmement difficiles pour ma santé mentale, avec des hauts de moins en moins haut et des bas de plus en plus abyssaux.

Je me poussais à être parfaite, à tout prévoir, à tout faire, à tout gérer. Il parait que l’hyper-indépendance est le résultat de relations toxiques, et franchement ça explique beaucoup de choses. Je profitais de ma capacité à l’hyperfocus, un des avantages de ma neurodivergence, ainsi que mon super-pouvoir de jongler avec toutes les difficultés sans rien faire tomber.

Et maintenant, c’est fini tout ça. J’en suis plus capable.

Une bonne partie de tout ça est involontaire. Entre un probable burn-out, une dépression en cours de traitement, et les douleurs et la fatigue qui résultent de ma maladie chronique, rester constante dans mes efforts et mes capacités est devenu difficile. C’est parfois presque insurmontable, mentalement parlant.

Oh, je finis par faire ce qu’il faut que je fasse, mais cela demande beaucoup d’efforts, et c’est quelque chose de très dur à accepter pour moi qui ai toujours été une multipotentielle omnipassionnée capable de tout faire, être partout à la fois, et d’avoir une capacité de produire du contenu peu commune.

Ce n’est pas un manque d’imagination—j’ai tellement d’idées que je pourrais en revendre. Ce n’est pas un manque d’envie—je passe mon temps à me lamenter de ne pas réussir à faire ce qui me fait tellement envie de faire.

C’est juste… que je reste devant la tâche à accomplir, et que je suis dans l’impossibilité de m’y mettre.

Et cette inconstance dans mes capacités, bien que difficile à accepter, j’ai décidé que je pouvais vivre avec. Bizarrement, cela coïncide un peu avec ma mentalité anti-capitaliste qui se forme peu à peu. Ma valeur n’est pas corréllée à mon rendement, ni à l’argent que je ramène à la maison. Elle n’a pas de rapport avec ma capacité à faire la vaisselle, ou à bêcher mon jardin.

Donc, mon inconstance devient peu à peu volontaire, finalement. J’accepte que j’ai des jours avec, et des jours sans, au niveau production de contenu. J’accepte que je n’arrive pas à me focaliser sur une seule chose, et que j’ai besoin de papillonner entre divers projets. J’accepte que parfois, même si j’ai pas envie, même si ça me fait profondément chier, je ne vais rien réussir à créer de ma journée.

J’accepte avec la rage au coeur, mais j’accepte tout de même.

J’ai la chance d’avoir un épouxe qui comprend le processus créatif, déjà, et aussi le burnout et les difficultés d’une maladie chronique. Je me rappelle encore mon entourage précédent qui n’aurait pas eu d’empathie—on m’avait même dit que je n’avais pas le droit d’être malade, avec deux enfants autistes.

Quand j’y repense, je me dis qu’aujourd’hui les gens qui se permettent ces réflexions, je t’y lancerais dans l’espace moi. Loin. Loin de moi! Mais c’était avant, quand j’étais encore jeune (et préparée depuis l’enfance à m’effacer et à faire passer les autres en premier pour obtenir une miette d’acceptance).

Aujourd’hui, je culpabilise toujours quand je pars m’allonger l’après-midi, alors que mon épouxe travaille. Même si je sais que je devrais pas. J’en ai besoin, et de toute façon me forcer à rester debout ne me rend pas plus productive. Alors je tente d’apprivoiser cette inconstance, et de l’accepter au lieu de me flageller régulièrement à ce propos. Je vous cache pas que c’est pas facile.

Je repense à tout ce que je faisais avant, et je me dis que c’est probablement ce qui m’a bousillé la santé (physique et mentale)… Mais en même temps, cela m’a permis énormément de choses, pas la moindre étant d’avoir réussi à rendre mes enfants le plus autonomes possible. Je m’y suis épuisée, mais aujourd’hui je peux m’autoriser à m’effondrer si besoin, je sais qu’ils savent se gérer à la maison et dans leurs activités quotidiennes. Et je sais que je peux toujours compter sur mon épouxe pour m’épauler en cas de besoin.

Alors oui, je suis lente. Je ne produis pas autant qu’avant, ou autant que je voudrais. Mais je produis du contenu, je suis satisfaite de sa qualité, et je sais qu’après les bas, les hauts reviennent toujours, et que je retrouve par moments la gnaque qui m’a toujours caractérisée.

À toutes celles et ceux qui prêchent que la constance est le seul moyen de réussir… je souhaite prouver tort.

En tant que malade chronique, en tant que personne atypique ou handicapée, cette “obligation” de constance nous pourrit la vie. Cela nous force à faire plus que ce dont nous sommes capables à un instant T. Cela nous pousse à abandonner quand on a fait une pause dans notre création de contenu. Ou même, cela nous pousse à ne jamais commencer, parce qu’on a peur de ne pas arriver à tenir la cadence.

Est-ce plus facile de réussir si on crée tous les jours? Peut-être. Mais il y a de la place pour tout le monde sur Internet, et je suis sûre qu’il y a des gens comme moi qui ont des besoins différents des autres. Qui aimeront mon contenu. Qui me suivront pour ce que je leur apporte comme bien-être, compréhension, ou joie.

J’y crois ferme.

C’est parti.

2 Comments

  1. Patate des ténèbres

    Les autres s’approprient nos vie, nous imposent des règles, des cadres, et pas seulement les méchants reptiliens dirigeant nos dirigeant (fan de la série V), mais surtout nos proches, et honnêtement, il est très difficile d’engager sa précieuse énergie dans cette lutte contre un rythme de vie ne nous convenant pas. Cardiaque, diabétique et depuis peu en hypertension, j’approche la cinquantaine et réfléchis -sans aucune pensée morbide – à comment partir prochainement, sans douleur et sans bruit. Solitaire de nature, cette société ne me convient pas, me contraint trop, et ne voyant pas de solution pour continuer à faire semblant d’être cool, j’attends que mon chat s’en aille pour le suivre (mais pas dans la même dimension supérieure, les montagnes de croquettes ne me faisant pas trop rêver). Bref, lorsque je te lis, je vois bien tous les challenge jalonnant ta vie, et ne peux que te souhaiter beaucoup de force, de passion et de sushis (fait maison), je saupoudre cela d’un peu d’admiration.

    Reply
    • Nathalie Julien

      Merci de ton partage! Ah, la mort, ce sujet qu’on préfèrerait éviter mais qui est tellement important.

      Je pense qu’il est important de vivre notre vie du mieux possible. D’arrêter de se plier aux desideratas de la société, et de vivre comme on veut, et comme on peut. Tu penses à ton chat, moi j’ai charge d’âme avec mes deux enfants autistes, et je m’inquiète de savoir comment ils feront quand je ne serai plus là. J’aimerais pouvoir me dire que je partirai et que tout ira bien, mais hélas vu la position des personnes handicapées en France, je n’y crois pas tellement. Je me dis que je vais faire du mieux possible, et qu’il faudra bien que cela suffise…

      En attendant, après tant d’années de galère (et quand je parle de galère, je ne parle pas de mes enfants, mais des gens avec qui j’ai vécu, et de la société en général qui fait pression sur chacun de nos gestes), je ne veux plus me soumettre aux règles. Je ne dérange personne, qu’on ne me demande rien. Qu’on me laisse vivre ma toute petite vie de la façon la plus agréable et simple pour moi. Parce que je me suis sacrifiée, comme ma Maman avant moi, la quasi-totalité de ma vie, et qu’aujourd’hui je veux vivre mon petit bout de vie, enfin, comme je l’entends moi.

      Merci de tes gentils mots, ça m’a fait du baume au coeur. 🙂

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Féministe multipotentielle et omnipassionnée. Neurospicy, malade chronique, et assidue de la slow life.

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